Jacques Josse, le style des belles personnes
Après
un portrait attachant de Marco Pantani en 2015 (voir
ici sur le site unidivers),
Jacques Josse, écrivain discret, prix Loin
du marketing en 2014,
revient sur l'histoire de son père, malheureusement touché trop
jeune par la maladie et écarté d'une carrière de marin. Breton
resté à quai, cloué au
port, débarqué. Les
psychanalystes nous invitent à "tuer le père", ici
l'auteur choisit une autre voie, celle de lui rendre hommage.
Dans
Liscorno,
publié en 2014 aux éditions Apogée, Jacques Josse nous faisait
découvrir les lectures de sa jeunesse et les auteurs qui l'ont
marqué. Dans Débarqué,
il s'enfonce plus profond encore dans ses racines littéraires quand
cette passion de la lecture de récits de voyages lui vient de son
père. Quelle belle transmission que cet appétit de récits
d'aventure, et après cette transmission, il faudrait "tuer le
père"? Ce n'est pas possible.
Nous
faisons ici connaissance avec un grand-père capitaine au long cours,
un père qui ne le sera pas pour raison de santé et qui ne cessera
de voyager avec les livres (Pierre Loti, John Steinbeck, Joséphine
Johnson, etc.) et en écoutant les récits rapportés au bar par les
marins. "Il avait
tellement pris l'habitude de voyager à l'instinct que c'en était
devenu une seconde nature. Mon père multipliait les virées en
terres étrangères sans jamais quitter ses pénates. Il parlait avec
les ouvriers agricoles qui se louaient de ferme en ferme, avec les
pêcheurs qui bivouaquaient le long des cours d'eau, avec les hobos
américains qui grimpaient dans les trains de marchandises, avec les
voleurs de voitures qui filaient de New York à San Francisco en
changeant de véhicule avant de tomber en panne sèche."
Quand les rêves se passent ainsi de générations en générations.
Cette
vie était dure, n'en déplaise aux nostalgiques. S'il ne se
suicidaient pas violemment, nombreux le faisaient à petite dose, ou
plutôt à petites verrées de vin, de cidre ou d'eau de vie, la mal
nommée. Des ambitions contrecarrées, des angoisses gardées pour
soi, des histoires de mauvaises amours, des blessures de guerre, du
manque d'argent, des maladies qui ne se soignaient pas à l'époque,
des métiers qui éloignaient les pères de leur famille, la mort
toujours proche, cette vie simple n'a pas les honneurs des livres
scolaires. C'est aux écrivains qu'il revient d'en assurer la
transmission.
Écrire
les liens qui unissent un homme à ses origines, un homme à sa
terre, exige un style d'écriture à la hauteur de l'enjeu. Et
Jacques Josse sait, de chapitres en chapitres comme autant de
nouvelles, en phrases parfois longues et parfois courtes, nous
entraîner dans une narration sensible et pleine de tendresse et
d'humanité, le style des belles personnes. "Au
fil des ans, le lien qui s'était discrètement tissé entre nous n'a
cessé de s'affermir. Il s'est nourri de faits subtils, graves ou
anodins, de moments de bonheur et de drames sans nom. Il s'est étoffé
en courant sur plus d'un demi-siècle. Il doit beaucoup à nos
lectures, à nos solitudes, à nos dialogues et à nos silences."
Jacques
Josse sait bien conter, au-delà de ses origines, le destin des
petites gens. Il y avait de la noblesse dans ses vies populaires. Et
on se laisse aisément embarquer dans cette histoire du quotidien de
bretons dans la deuxième moitié du 20ème siècle.
Débarqué
Jacques
Josse
(Éditions)
La Contre Allée
150
p
16.
€
Article publié également sur le site Unidivers
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