Virginie Gautier ou la littérature enrichie
François
Rannou, infatigable passeur de L'Inadvertance, nous propose dans sa
collection chez publie.net un ouvrage disponible en ebook qui
illustre parfaitement l'évolution que peut vivre la littérature
dans les prochaines années. Une littérature à la croisée de
nouveaux chemins ?
Que
nous propose donc Virginie Gautier, cette auteure née en 1969 qui
vit entre Paris et le Finistère? Elle enrichit notre lecture avec
des liens hypertextes, des illustrations, des sons (extraits lus par
l'auteure), des vidéos réalisées par elle aussi. Mais ne nous
trompons pas, il n'est pas question d'illustrer le propos écrit mais
d'accompagner le lecteur dans une démarche artistique étendue bien
au delà des limites de la page. L'auteur cherche à multiplier les
angles d'approche en jouant à la fois sur l'espace et la géographie
du territoire urbain exploré et sur le mode de représentation des
sensations ressenties. Il est même possible d'enchevêtrer parfois
les sons pour un résultat intéressant. Et ici, la note de bas de
page se change en porte ouverte vers l'ailleurs...
Cette
poésie enrichie de Virginie Gautier rentre tout à fait dans ce
qu'étudie Mélodie Quercron dans son mémoire de master 2 sur la
poésie à l'ère numérique accessible sur son blog1.
Je la cite « nous
sommes en effet confrontés à des formes de poésie qui
n’appartiennent pas encore à l’histoire littéraire. »
Objets
Verbaux Non Identifiés, Objets Virtuels Non Imprimables, peu
importe, effectivement « L’expérience
est polysensorielle et les nouvelles technologies interrogent
l’élargissement de la définition et de la représentation de la
poésie. »
Lisez Virginie Gautier et vous comprendrez que les nouvelles
technologies ne sont pas qu'un gadget mais qu'elles interrogent
vraiment notre façon d'écrire, de lire, de voir, de ressentir,
d'écouter, de penser la poésie.
Donc,
avec ses dessins et ses vidéos, Virginie Gautier fait œuvre d'art
dans cet ouvrage. Mais elle fait aussi et surtout œuvre de
littérature. Marcher dans Londres en suivant le plan du Caire lui
autorise tous les télescopages salutaires à la création. Et puis
Londres, c'est comme
une ville universelle qui parle aussi bien de Paris, de Marseille,
Rennes, Ceuta, Wuppertal ou Plovdiv. Une ville, le seul désert à
notre portée dont parlait Camus. Une ville où l'on croise forcément
François Bon. Une ville-zone
dont
l'Homme est le fluide, le sang dans ses artères « Dans
une ville ouvrière, une ville moderne, une ville parfaite. [...]
Peuple
libre de marcher cherche un endroit pour s’arrêter. […] Peuple
libre d’aller ici ou là cherche endroit à habiter. Zones
préférées : les voies de chemin de fer, les bâtiments industriels
désaffectés auxquels elles mènent le plus souvent. Les tunnels,
qui servent de passages aux piétons. ». Une
ville, un canal, une rivière et parfois l'appel de la mer. « Quand
les maisons sont serrées ainsi les unes contre les autres comme des
coquillages, est-ce la mer qui est derrière ? »
Une
ville avec ses lignes, une ville border-line, « Avec
sur nos bords de nouvelles lignes de fuite. On en use beaucoup ».
Une ville-trajectoire intime « Touchons
du doigt notre trajectoire dans le temps. Ce sont lignes et
pointillés, traits discontinus. Les plus anciennes sont en dessous,
forcément. ». Une
« Ville
par tâtonnement. »
« une
ville promenée, ici et là, même de force ». Marcher
donc dans une ville-temps « Marcher,
c’est broder le passé sur l’avenir. Une traversée où rêve le
réel. Les lieux se superposent aux souvenirs. »
Se
perdre dans des métros-cavernes préhistoriques et leur nouvelles
fresques rupestres
« Nous descendons par une trappe dans un souterrain. Nous
enfonçons dans un dédale en forme de constellations. Des cavités
que joignent de minces galeries en lignes droites.
Voici
le revers où s’échangent les couleurs. La coulisse où
s’enracinent les motifs, les subtiles frondaisons. Chaque pas rendu
visible par une couture, un fil coloré. Chaque arrêt, une étoile
fleurissant sous le pied. Chaque demi-tour laisse une racine à nu,
un filament. » Déambulation
de la ville elle-même « Dire
de cette ville qu’elle se déplace, c’est bien le minimum pour la
décrire. Elle fait des uns des voyageurs, des autres des naufragés.
C’est une ville-radeaux. » Une
ville-banlieue (ne pas dilapider ces faubourgs :
« Nous préférons rester sur les bords, arpenter les lisières
ou bien longer les côtes. » Une
ville-ruine
« Nous la voulons comme une ruine. Avec des fers à béton qui
pointent encore le ciel. Propositions inadéquates mais répétées
d’étages dans les nuages. »
Une
ville qui s'interroge « C’est
une ville, elle abrite une quantité de jardins. […] Une foule de
questions et une quantité de possibilités. Des esquisses pour la
part du flou, l’idée du nuage […] C’est une ville, elle n’a
fait que nous perdre. »
Marcher
dans Londres en suivant le plan du Caire
Virginie
Gautier
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