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Affichage des articles du septembre, 2022

Henri Droguet -Toutes affaires cessantes

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  Le titre du dernier ouvrage d'Henri Droguet laisse à penser qu'arrivé à cet âge de la vie, il y a comme une urgence à dire, à chercher des réponses aux questions existentielles. Mais s'il y a urgence, il ne doit pas y avoir précipitation et Henri Droguet est un de ces ciseleurs de vers qui prennent le temps de choisir le seul mot qui puisse convenir à son propos. Tel le joaillier, il assemble les mots pour les unir en un bijou d'inventivité dans les délices du désordre, des divagations, désarticulations, dislocations, devinettes, et autres tambouilles et ratatouilles, kyrielle ribambelle, rébus, prismes et miroirs. Les mots, le vocabulaire si riche de l'auteur. Nommer, préciser, tout ce que peu d'écrivains font désormais, dans le désordre des mots si bien arrangés (on pourrait aussi parler de jardins anglais), pour souligner l'incohérence du monde et s'interroger sur sa propre place dans cette époque opaque. On retrouve dans ce nouvel ouvrage tous les

Chantal Dupuy-Dunier - Cronce en corps

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  "Interroger l’identité, c’est interroger le lieu" écrivait Jean-Michel Maulpoix dans une analyse du recueil Du mouvement et de l’immobilité de Douve d'Yves Bonnefoy. C'est ce rapport entre l'être et le lieu de l'être que Chantal Dupuy-Dunier à choisi d'étudier dans son dernier ouvrage Cronce en corps  publié par les éditions Les Lieux-Dits. Cronce est ce petit village de Margeride en Haute-Loire (71 habitants au recensement de 2019, peut-être moins depuis...) où l'autrice et sa famille ont choisi de trouver racine. On s'attache à un lieu, le sol devient nôtre même si l'on en n'est pas propriétaire.  Petit à petit, le lieu prend matière dans les arbres, les oiseaux, les végétaux, les animaux, le vent, la pierre, l’eau, le ciel, la langue, les parfums, la lumière, les bruits, les souvenirs mais aussi le feu qui "crépite encore / d'un râle incandescent". Puis le lien devient physique : "Cronce, ton "o" est la pre

Douna Loup - Langue océane

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 La collection Architextes aux éditions Atelier de l'agneau, dirigée par Françoise Favretto, nous livre une nouvelle expérience textuelle avec l'entrée (réussie) en poésie de Douna Loup, écrivaine franco-suisse née en 1982 de parents marionnettistes, qui a publié jusqu'alors six romans et deux pièces de théâtre. Apparaît assez vite, dès les premières strophes, que cette langue océane n'a rien à voir avec les langueurs de Brel dans Amsterdam. Et que rien de conventionnel ne se passera ici. D'ailleurs l'autrice affirme un peu plus loin "Offrir les convenances aux chiens"... Avec de larges interlignes, pour affirmer sans doute cette langue à scander, héritée d'Henri Michaux, de Gherasim Luca, Douna Loup tente d'éprouver "la langue qui est sous ma langue en sons" au contact du corps, du monde animal, et du monde océan. On trouve ici du cri, du sel, et la mer "la lourde voix coquillage au-dedans du monde". Sons et sens fusionnels

Jean-Clément Martin Borella - l'Académie Baudelaire

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 2021, fut l'anniversaire des deux cents ans de la naissance de Charles Baudelaire. Au moins trois livres sont venus nous rappeler cet événement :   L'affaire Baudelaire de Remy Bijaoui,  Crénom, Baudelaire ! De Jean Teulé et L'Académie Baudelaire de Jean-Clément Martin Borella. Le premier est un essai évoquant le moment de 1857, où Charles Baudelaire et ses éditeurs sont condamnés pour « outrage à la morale publique et aux bonnes moeurs » par le tribunal correctionnel de la Seine. Jean Teulé, lui nous a donné à lire le portrait d'un "homme détestable, drogué jusqu'à la moelle". Jean-Clément Martin Borella, jeune journaliste spécialisé dans le domaine de la culture, nous propose lui, après une enquête approfondie dans les différentes correspondances de l'auteur, un roman avec un Baudelaire bien plus attachant dans une vision moins manichéenne et plus axé sur son apport à la poésie. Le roman débute le 11 décembre 1861, Charles Baudelaire dépose sa candi

Carole Carcillo Mesrobian - De nihilo nihil

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  Confinement Covid la vie à l'arrêt. Le rien envahit nos vies au risque de nous rendre fous. Mais quels sont dont cette "immatérialité théâtrale" et ce "vide scriptural" qui ouvrent ce nouvel ouvrage de Carole Carcillo Mesrobian, intitulé De Nihilo Nihil et publié aux Éditions Tarmac ? Le vide. Le rien. Un théâtre sans spectateurs. Le confinement a provoqué ce désert dans les salles de spectacles. Carole Carcillo Mesrobian a peut-être arpenté cet espace désertique pendant ce délai d'arrêt forcé. L'imagination ne s'arrête pas sur décret d'état d'urgence, et l'autrice de creuser ce vide, cette immobilité, ce mutisme. Y chercher un motif de réflexion. Rien ne peut être produit à partir de rien. Certes, mais avec l'esprit rien n'est impossible. Le poème se crée à partir de rien, juste quelques neurones et synapses en bouillonnement. Quel est ce théâtre masqué qui voit évoluer des personnages faisant "l'expérience de leur vac

Denise Le Dantec - La strophe d'après

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  Comme si la semaison de Jaccottet avait poussée dans une langue encore plus dépouillée, et encore plus inventive. Comme si la langue de la Beat Generation pouvait encore dire le brouhaha du monde à travers la douce lumière des lucioles, le velours des corolles au jardin mais aussi les sigles violents de l'actualité... Car dans son dernier ouvrage La strophe d'après, sans se sentir obligée à la métaphore, Denise Le Dantec, après une cinquantaine d’ouvrages, nous offre une poésie brute, sans apprêt superflu dans les strophes, qui elle aussi cherche à entretisser le visible et l'invisible. Et parmi le visible, le végétal. Denise ou le règne végétal, "Mon jardin est plus grand que le monde" qui me renvoie aux "Jardins qui reculez / sans cesse l'horizon" de Cadou. Ces mots s'appliquent aussi parfaitement à la poésie de Denise Le Dantec, reculer l'horizon, voir plus loin. Triturer le langage avec un patchwork de termes de linguistique, de botaniq

Patrick Argenté - dernier cri

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 Patrick Argenté est un poète breton discret qui comme beaucoup mériterait que les lecteurs de poésie s'y intéressent. Un artisan des mots avec toute la noblesse du mot artisan : « La poésie, c’est un peu comme être ferrailleur, on ramasse tout ce qu’il y a » Son dernier recueil démarre en douceur avec de petits riens de tous les jours, ces petites choses, ces petits instants qui font les grands poèmes. Un oreiller, des cloportes, une loupiote, cette lampe témoin des brasiers de l'amour "mais son silence / est tel que jamais rien ne luit / en dehors de nous-mêmes". La lampe qui "veille / surveille poursuit / ses échanges et sa quête / éclaire l'intérieur  même / des rêves ".  Ces petits bricolages du réel, qui font vieillir doucement mais inexorablement "nous voilà / si vieux que nos mains sont / des branches et des arbres où / des bêtes vivaient à l'abri du regard". Et le présent, toujours le présent, "la continuité immobile du présen