Douna Loup - Langue océane
La collection Architextes aux éditions Atelier de l'agneau, dirigée par Françoise Favretto, nous livre une nouvelle expérience textuelle avec l'entrée (réussie) en poésie de Douna Loup, écrivaine franco-suisse née en 1982 de parents marionnettistes, qui a publié jusqu'alors six romans et deux pièces de théâtre.
Apparaît assez vite, dès les premières strophes, que cette langue océane n'a rien à voir avec les langueurs de Brel dans Amsterdam. Et que rien de conventionnel ne se passera ici. D'ailleurs l'autrice affirme un peu plus loin "Offrir les convenances aux chiens"...
Avec de larges interlignes, pour affirmer sans doute cette langue à scander, héritée d'Henri Michaux, de Gherasim Luca, Douna Loup tente d'éprouver "la langue qui est sous ma langue en sons" au contact du corps, du monde animal, et du monde océan. On trouve ici du cri, du sel, et la mer "la lourde voix coquillage au-dedans du monde".
Sons et sens fusionnels, en effusion, au-delà du genre poétique. Au-delà de tout genre d'ailleurs. Car la poésie se doit d'être de toutes les métamorphoses de la société, et combattre toute forme d'exclusion. Toute poésie est par essence inclusive et non excluante. Et Douna Loup met toute sa force dans ses mots "la force qui est logée dans mon ventre est une feuille douce".
Partir du elle pour aller vers le iel, le "cellui".
"je suis
traversée par tout ce qui est
ilels me peuplade
silsel me font et me défont sans cesse
inclusive
panplurielle "
Transcrire le transgenre aussi :
"mon cœur est une œuvre transgenre
qui se fout du sexe des anges
et mon colère nage comme une sirène
prête à vriller la gueule aux règles bien-pensantes
qui me polissent de l'intérieur "
Douna Loup nous propose avec ce Langue océane ce qui est, peut-être, le premier ouvrage de poésie gender fluid.
Son précédent ouvrage était une célébration de la nature, de la vie et de la beauté du monde. Ici le sujet est plus personnel avec également une forme de revisitation du sentiment amoureux, comme une vibration venue de l'intérieur du corps :
"tout m'échappe
tu m'échappes
je n'ai pas de prise sur mon sentiment
sur cette vibration qui est là, qui tremble, qui est ma réaction chimique
tu es là et je vibre"
[...]
"est-ce parce que je ne te gagne pas que je te perds
Est-ce que je peux te gagner à l'intérieur de moi
sans toi
te gagner dans mon cœur, sans toi
sans tes mains et sans même ton autorisation ? "
Avec sa langue océane toute inventive, et parfois des emprunts au créole malgache auquel elle est attachée, Douna Loup veut briser les frontières du dire. Car ce n'est pas parce que l'on est attaché.e à une langue que l'on ne peut s'en lier à d'autres.
Et pour terminer cette citation qui mériterait de devenir la devise inscrite au fronton de toutes les media-biblio-thèques :
"donne-moi un verbe et je serai libre"
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