Patrick Argenté - dernier cri


 Patrick Argenté est un poète breton discret qui comme beaucoup mériterait que les lecteurs de poésie s'y intéressent. Un artisan des mots avec toute la noblesse du mot artisan : « La poésie, c’est un peu comme être ferrailleur, on ramasse tout ce qu’il y a »


Son dernier recueil démarre en douceur avec de petits riens de tous les jours, ces petites choses, ces petits instants qui font les grands poèmes. Un oreiller, des cloportes, une loupiote, cette lampe témoin des brasiers de l'amour "mais son silence / est tel que jamais rien ne luit / en dehors de nous-mêmes". La lampe qui "veille / surveille poursuit / ses échanges et sa quête / éclaire l'intérieur  même / des rêves ". 

Ces petits bricolages du réel, qui font vieillir doucement mais inexorablement "nous voilà / si vieux que nos mains sont / des branches et des arbres où / des bêtes vivaient à l'abri du regard". Et le présent, toujours le présent, "la continuité immobile du présent". "La vie est pressante et légère" comme le pas de coussin d'un chat, posé délicatement sur le sol. On voudrait tenir "la corde verticale de cette lumière", "On voudrait / tenir les pierres brulantes et le / soleil dans la main on // voudrait coller son nez à la / cloison chaude du monde." On voudrait, mais quelque chose reste coincé entre les mots. Quelque chose qui ne passe pas. Comme un cri retenu.

Et ce cri est emprunté à une mouette depuis Calais et ce qu'on a (mauvaise) coutume d'appeler la Jungle : "Des rats il y a / des rats certainement / des rats // et des grenouilles qui vivent / dans la bouillasse // au-dessus de / l’usine chimique les / oiseaux ne / se posent pas // la jungle n’est pas / un endroit pour / les hommes", avec ses ruptures d'enjambements, comme pour signifier qu'on ne peut pas passer ainsi par-dessus cette réalité. Enjamber ces corps humains est tout simplement impossible.

Dernier cri aussi depuis la Syrie "la terreur organisée pour faire mal", depuis ici en Bretagne aussi, à la fenêtre grande ouverte sur le monde et sur l'auprès où "les voisins pensent à leur derrière / à leurs courses à leur matou // les réfugiés ne viendront pas / chez nous l'amour// est au cimetière". Cri d'indignation qui se transforme en douleur et résignation face à l'actualité "nous n'avons qu'un monde il est comme il est / pas beau pour la moitié et je compte / maladroitement mais / maintenant mon chant petit s'accroche aux / branches / petit fanal vie de haillons / aux branches". 

Le poète est toujours en décalage avec le dernier cri, il n'est pourtant pas complètement coupé de la réalité du monde qui l'entoure. Alors, Patrick Argenté dénonce "La peste brune la / menace grave de tous ces rats / courant // sur le halage plus / droit de rire plus / d'insouciance // tu mangeras de tes / mains cariées une sorte / de pain noir // moisi avec des enfants / plus vieux / que le désespoir." Le poète est modeste, il sait que ses mots ont une portée malheureusement limitée "Petits pas la poésie / claudique un peu sauvera pas / son homme".

Mais lecteur, tout n'est pas que désespoir dans cet ouvrage. L'espoir aussi un peu, du bleu espérer. Celui des enfants, des arbres à l'horizon depuis la fenêtre. "d'où vient le bleu qui signe sans cesse / dans un recoin / des poèmes ?".


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