Lionel Bourg - Prière d'insérer suivi de Cote d'alerte et C'est là que j'ai vécu

Lionel Bourg, plus qu’écrire, chérit les mots : « Ce noir crissement dans la neige qui tombe ». Il a publié en mai un court recueil intitulé Prière d’insérer suivi de Cote d’alerte, aux éditions La Passe du Vent. Et en octobre, il nous offre à découvrir avec les éditions Quidam : C’est là que j’ai vécu. Il est intéressant de faire le parallèle entre ces deux ouvrages qui semblent flotter dans un même équilibre. Sa vision du travail d’écrire tout d’abord :

« Difficile à éviter, le substantif ne me satisfait toujours pas. “Activité” ne serait pas meilleur, ni “acte”, ni “labeur”. Me résignant à l’utiliser, je garde à l’esprit son étymologie – tripalium, instrument de torture – tout en retenant que l’usage en a fait un concept contradictoire, ambigu, mystificateur ».

Mais en fait, pour Lionel Bourg, écriture ne rime pas avec torture, tous les jours elle est son « unique joie : vaquer, débroussailler un peu, ramasser un caillou et semer ces autres pierres qui sur la page distribuent l’archipel encore aléatoire de ma malheureuse conscience ». Écrire avec souvent pour lui le « sentiment de toucher à des rives insoupçonnables ».

Certains écrivains aiment à prendre la lumière des médias, arborant avec fierté leur dernier ouvrage devant les journalistes qui n’attendent que quelques bons mots pour leur papier, sans vraiment chercher l’homme ou la femme qu’il y a derrière. Lionel Bourg préfère la simplicité dans les rapports humains et l’amitié. Modeste, il sait « La vanité voire la parfaite incongruité d’écrire » et que « Les mots mentent. N’avouent que mon insuffisance ». Modestie dont certains devraient bien s’inspirer…

Bourg écrit donc en peaufinant ses mots, en nettoyant bien leur peau, comme le suggère l’étymologie de ce mot. Il écrit en décrivant ce qu’il ressent plutôt que ce qu’il voit, en de longues phrases qui restent à la lecture pendant plusieurs secondes, comme le goût sucré des bonbons sur la langue. Il n’a pas besoin de voyager loin. Sa ville de Saint-Étienne, son département lui suffisent pour nous donner à comprendre beaucoup de choses sur notre propre vie, le monde qui nous entoure, la nostalgie de ce qu’il a été. « Écrire, c’est compliquer le réel. Souffrir peut-être, tant l’Ouvert dont Rilke fit grand cas se referme à chaque tentative de s’y précipiter. Envie de fuir. De partir. Et pour moi, sédentaire confirmé, la rêverie quelque peu douceâtre de me mettre à voyager… ».

Lionel Bourg observe la vie qui l’entoure avec une grande acuité. Il a de l’empathie par exemple pour ces petits vieux qui, « de l’extrémité de leur canne dessinent des hiéroglyphes à même le gravier qui recouvre le sol ». Quand il évoque Saint-Étienne, il ne cherche à tirer aucune ficelle touristique. « Écrire sur une ville, sa ville, n’a de sens à cette aune que si l’on s’extirpe de ramifications fallacieuses, l’imbroglio des lignages, la mangrove asphyxiante où l’on barbote avec les siens sans réussir à sectionner le nœud de vipères généalogiques auquel on doit un nom, une carte d’identité, cette nasse, ou ce terreau, cette patrie résolument perverse de qui parcourt toujours la même circonférence, n’établissant au mieux qu’une apparence illusoire ».

Saint-Étienne, c’est donc là qu’il a vécu. Il n’y a pas d’écriture déconnectée d’un lieu, cela devient un cliché. Le lieu est vie, il est donc personnage. Et cet ouvrage aux éditions Quidam est une vraie symphonie de noms propres. Comment nommer un collectionneur de noms propres ? Tout y passe, histoire, géographie, sport, cinéma, chanson, amis… Existe-t-il un record du monde du nombre de noms propres dans un récit ? En faire la liste ici serait à proposer à Bernard Bretonnière…

C’est donc là que Lionel Bourg a vécu, mais c’est surtout avec tous ceux-là. Car si un lieu marque un homme, les rencontres, réelles ou non, le façonnent. Les lieux, les hommes, les mots. De quelles rencontres, de quels mots le lieu est-il l’œuvre ? C’est un peu à cette question que tente de répondre Lionel Bourg avec ce livre sorte de mémoire de canut en bluesman.

Deux livres à conseiller donc, de Lionel Bourg, pour découvrir un auteur, un lieu, une œuvre :

C’est là que j’ai vécu, Quidam éditeur, octobre 2019, 128 pages, 14 €

Prière d’insérer suivi de Cote d’alerte, Editions La Passe du Vent, mai 2019, 48 pages, 5 €



Article publié également sur le site La Cause Littéraire



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