Louis Timbal-Duclaux

Mr Timbal-Duclaux, mon regard a été accroché dans mon kiosque sur la une du n°111 du magazine "écrire magazine" qui titrait "Poésie, comprendre et analyser les techniques" et "Poésie et publicité". Je vous reconnais un certain talent dans la publicité puisque ainsi accroché j'ai immédiatement dépensé les 5.90 euros de votre revue.

En revanche, je ne partage pas du tout votre opinion sur la poésie. Vos "vérités méconnues sur la publicité et la poésie" s'apparentent plus pour moi à des contrevérités qui traduisent, j'ai l'impression, un manque de connaissance de la poésie et en particulier de la poésie contemporaine. Je vais tenter de vous éclairer sur ce point sans aucune animosité à votre encontre car j'ai trop de respect pour le travail que vous faites pour l'écriture en général.

Quand vous dites : "D'un côté la poésie, étudiée dans les cours de français comme l'excellence littéraire même", c'est justement contre quoi pas mal de poètes essayent de lutter. En effet, établir ainsi une hiérarchie de valeur n'est pas acceptable. Pourquoi le roman serait-il moins noble? Et la nouvelle? et le théâtre? et le pamphlet? Je vous invite à écouter l'intervention de Jean-Pierre Siméon au CRDP du Limousin accessible sur internet à l'adresse http://www.crdp-limousin.fr/La-poesie-a-l-ecole-une.html. Vous y découvrirez ce que doit être la poésie : plus un jeu, qu'un titre de noblesse, plus une recherche de liberté qu'un prix d'excellence...

Quand vous dites : "la meilleure poésie semble n'être appréciée que par une élite raffinée capable de la comprendre". Là encore, quelle méconnaissance de la poésie actuelle. Il n'y a pas d'élite ni de sentiment de supériorité, juste une volonté d'écrire "neuf". Ne pas se contenter de faire comme les anciens. Du coup, c'est vrai qu'être en avance provoque des incompréhensions. Il en est ainsi dans tous les arts. Les peintres impressionnistes n'étaient que des incapables selon les critiques de l'époque. Burren, Christo, et autres étaient également des artistes fortement critiqués. Les poètes surréalistes n'étaient pas mieux acceptés. La poésie est là pour « ouvrir des portes infrayées » disait Paul Morand à propos de Picabia. Curieusement, de nos jours, les méthodes des surréalistes sont reprises par les publicitaires pour faire du slogan vendeur...C'est d'ailleurs là pour moi, le seul point commun entre poésie et publicité : la récupération du fait poétique par les marchands.
De plus, cette notion de "comprendre" n'est plus du tout d'actualité. Après Mallarmé, qui répondait aux accusations d'hermétisme "Je ne suis pas un auteur hermétique. Je suis un auteur pour lecteurs attentifs", Georges Perros disait « La poésie donne le plaisir de ne pas avoir à comprendre ». Et depuis déjà longtemps, les (bons) poètes n'essayent plus de faire comprendre mais de faire ressentir. Ce qui est différent. Pas besoin d'avoir tout compris dans un texte pour sentir quelque chose qui vous émeut. Je ne comprends rien au fonctionnement du soleil mais cela ne m'empêche pas d'apprécier sa chaleur et sa lumière. D'autres poètes (tout aussi bons) eux, préfèrent écrire au plus simple (sans figures de style, métaphores, ni astuces de langage). Du coup, là aussi incompréhension, c'est trop simple pour être de la poésie diront certains.

Quand vous dites que "poésie et publicité ont pour fonction commune ...d'enchanter le monde", je ne suis pas du tout d'accord. Artaud disait « La vie est de brûler des questions » et le poète est là pour profiter de sa liberté pour porter les questions qui se posent à l'Homme et au monde. Le poète propose une fuite à rebours. Une course vers la non compétitivité. Une forme de résistance. C’est le poète qui rend visible la violence de certains mots comme « CAC 40 », « compétition », « bénéfice », etc. Lionel Ray a dit : « Non des traces mais des chemins : telle est l’écriture de poésie, une approche et une question ». Je partage complètement. Considérer que la poésie n'est là que pour faire du beau est une grave erreur.

Prendre plus loin l'exemple de la rose, me semble sérieusement daté. D'ailleurs, tous les exemples cités sont sérieusement dépassés (bien que d'excellente qualité) : Homère, Virgile, Baudelaire, La Fontaine, Molière, Racine, Lord Byron, Hugo. Pas un seul poète du 20ème siècle : René Char, Henri Michaux, Pierre Reverdy, André du Bouchet, André Chedid, etc. Pas un seul poète vivant actuellement : Bonnefoy (qui finira peut-être un jour par avoir le prix Nobel de littérature...), Jean-Michel Espitallier (à lire impérativement son ouvrage "caisse à outils" un très bon panorama de la poésie française d'aujourd'hui.), Jean-Michel Maulpoix, Philippe Beck, Esther Tellermann, Lionel Ray, Valérie Rouzeau, Christian Pringent, Ariane Dreyfus, Charles Pennequin, André Velter, Jacques Roubaud, Philippe Jaccottet, Franck Venaille, Antoine Emaz, Jacques Jouet, etc. Et j'en oublie un bon nombre car il y en a des centaines de poètes de grande qualité en France...Malheureusement, ils ne sont pas étudiés à l'école et peu visibles à la télévision...

Quand vous dites "que reste-t-il au poète....à se réfugier dans le malheur et l'obscurité" C'est oublier les surréalistes, les oulipiens, Queneau, Jean-Pierre Verheggen, Jean l'Anselme. Les poèmes-listes de Bernard Bretonnière regorgent de pépites d'un humour fin (certes pas à se rouler par terre, mais son métier est poète pas humoriste).

Quand vous dites "le poète se réfugiera, trop souvent, dans un style différent, c'est à dire hermétique et obscur". Non, je viens de vous dire que certains poètes vont au plus simple, en évitant tout lyrisme (Christian Prigent, Charles Pennequin, etc...), d'autres inventent une autre écriture (Valérie Rouzeau, Mathieu Messagier, Esther Tellermann, François Rannou).

Je cite plus loin "Quand on parle de poésie dans les petits cercles littéraires" (attention à trop fréquenter les cercles littéraires, les auteurs tournent inévitablement en rond...), "il est courant de se plaindre de sa faible diffusion dans le monde actuel" et bien ceux qui disent cela devraient se souvenir que le recueil "Alcools" d'Apollinaire a été tiré la première fois à 241 exemplaires. Ils devraient aussi regarder ailleurs, il n'y a pas que la télévision. Sur internet, un site comme Poezibao est visité quotidiennement par plusieurs milliers de visiteurs. De nombreux auteurs comme Jacques Ancet ou Jean-Michel Maulpoix diffusent leur travail sur leur site personnel. J'ai moi même découvert beaucoup de poètes grâce à internet. L'horizon n'est donc pas si noir que cela pour la poésie.

En conclusion, vous affirmez que vous ne croyez pas que "la petite (sic) poésie ait intérêt à se replier dans sa tour d'ivoire en n'exprimant plus que des sujets abscons et tristes". Y a-t-il une petite et une grande poésie? Je ne vois pas pourquoi un poète se contenterait d"une petite poésie. Je ne dis pas que tout va bien avec une vision angélique du monde de la poésie mais les poètes ne sont pas tous repliés dans une quelconque tour d'ivoire. Ils sont très souvent aussi à animer des ateliers d'écritures, à éditer des revues, à rencontrer leur lecteurs dans les différentes maisons de la poésie et lieux de spectacles. Ils ont tous à coeur d'essayer d'ouvrir le plus largement la poésie. Ils sont juste victimes d'une incompréhension du public sur ce qu'est vraiment la poésie. Le contenu de votre article contribue à conforter vos lecteurs dans une image passéiste de la poésie. Je vous invite à sortir de votre cercle littéraire et à venir visiter les quelques sites internet suivants pour vous faire découvrir ce qu'est vraiment la poésie au 21ème siècle avec en particulier des auteurs actuels qui font cruellement défaut dans votre article :

Le site Poezibao
http://poezibao.typepad.com/
Le site du Printemps des Poètes (en particulier la poéthèque avec près de 800 poètes référencés à découvrir)
http://www.printempsdespoetes.com/

Le site de Jacques Ancet
http://jancet.blogg.org/

Le site de Jean-Michel Maulpoix
http://www.maulpoix.net/

Le site de Charles Pennequin
http://charles_pennequin.20six.fr/

D'autres sites d'auteurs listés ici par Florence Trocmé
http://www.netvibes.com/florencetrocme#sites_auteurs

Des émissions de radios diverses sur la poésie à écouter et à podcaster :
http://www.google.com/reader/shared/denisheudre
La poésie contemporaine a même ses festivals :
A Massiac dans le Cantal, en juillet, le festival du Grand Cèdre
A Rennes, en mars, le festival des Polyphonies de Mars
et ailleurs aussi peut-être...

et puis pourquoi pas mon site perso sur lequel vous pourrez entre autres télécharger mes recueils gratuitement
http://denisheudre.free.fr/

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